Mon téléphone vibre; j'ai un nouveau message. Mon coeur cesse brièvement de battre. Mes lèvres tremblent; un léger sourire s'étire sur mes lèvres. Mon souffle se paralyse quelques instants dans ma poitrine, et se relâche subitement, en une lourde expiration.
Fébrilement, j'ouvre le message; Ce n'est pas lui. De rage, je tape du poing sur mon bureau. Je tape du poing parce que j'y ai cru. Je tape du poing parce qu'une fois de plus, j'ai espéré. Je tape du poing parce qu'il se profile ce que je me suis appliquée à nier depuis six semaines.
J'ai rencontré quelqu'un en Allemagne, le mois dernier.
Pour faire des économies, je fais du Couch Surfing; il était mon hôte à Hambourg. A peu de choses près, j'aurais pu ne pas le rencontrer. L'hôte que j'avais initialement prévu a dû se décommander au dernier moment pour raison de déplacement professionnel. J'ai posté un message sur le groupe des demandes d'hébergement de dernière minute; Il a répondu dans les deux minutes qui ont suivi.
A priori, son profil ne promettait pas monts et merveilles; 35 ans, banquier, aime la philosophie, la musique classique et faire des tours de magie. Ouais. Sympa tout ça, mais j'avais peur de me retrouver avec un type ennuyeux et pompeux à la longue. Mais il avait 65 références positives, et j'avais besoin d'un toit, alors j'ai accepté son invitation sans hésiter. Après tout, Couch Surfing, ce n'est pas un site de rencontre!
35 ans, divorcé, un mouflet de 6 ans. Pourtant, il n'avait rien du pantouflard chiant que je m'étais imaginée. Il savait encore s'amuser.
Non seulement il était très intelligent, mais en plus il était joueur, séducteur, imprévisible, passionné. Surprenant. Sans parler de ses traits pas du tout désagréables à regarder, ses yeux bleu-bleu de gosse, et son corps sublime.
Okay il avait un côté Hermione Granger/Leonard Hofstadter un poil pesant; d'accord, il avait un bouquin sur les champignons, et ses chaussons consistaient à des sandales, qu'il portait avec des chaussettes. Et puis cet air niais avec lequel il ne pouvait m'empêcher de me regarder parfois m'agaçait.
Mais c'était un véritable dieu du sexe.
Il m'a emmenée me promener dans le Hambourg riche et magnifique; je me suis sentie comme une gamine à Disneyland. Il a su remplir mes yeux d'étoiles, tant bien qu'en me dévoilant les trésors cachés de sa ville, qu'en me décrivant les paysages qu'il avait vu en Norvège, ou encore en me racontant quelques bribes des ses aventures sentimentales peu communes. Doucement, je commençais à nourrir le dessein de le mettre dans mon pieu. Ou de me glisser dans SON pieu, plus vraisemblablement.
Sous ses airs de coincé, il s'est en fait facilement laisser séduire. Il m'a fait croire que je menais la danse, alors que depuis le début, c'était lui le maître du jeu. Il m'a manipulée à juste et délectable dose. Si bien que, c'est tout naturellement, lorsque, me voyant fatiguée, et incapable de tenir plus longtemps à la soirée à laquelle il m'avait emmenée (l'anniversaire d'un de ses amis étudiants), il a suggéré que j'aille me coucher dans son lit, en attendant qu'il rentre. "Parce que je n'ai pas encore installé ton matelas" a-t-il ajouté, soucieux de sauver les apparences, au cas où. Mais c'était inutile, et il le savait. Il avait envie de me chercher, m'essayer, me goûter. Je le sentais.
Tout naturellement, j'ai accepté. Ca ne semblait même pas bizarre. Ni déplacé. Je n'avais pas l'impression de manquer de fierté ou d'être une Marie-couche-toi-là. Ca paraissait juste normal. Logique. Inné. Comme une sorte de destinée.
A l'instant même où ses doigts ont effleuré ma peau, j'ai ressenti quelque chose d'extrêmement fort. Après 16 mois de vie sexuelle minable et quasi-inexistante, après 5 aventures sans lendemain m'ayant laissée de marbre, frigide, Il a réveillé mon corps. Incontestablement le meilleur coup de ma vie. Et de loin, de très loin. Jamais je n'avais connu un homme si adroit au lit. Un virtuose.
Nous avons passé quatre jours collés l'un à l'autre, dans son beau duplex des quartiers aisés. Quatre jours de passion, de mots tendres, de longues conversations animés, d'orgasmes et de confessions chuchotées sur son oreiller. Le départ a été dur. le dernier soir, il a mis le réveil sur son téléphone pour que je ne loupe pas mon train de nuit, et quand la sonnerie a retenti, d'une voix ardente, je lui ai murmuré "Hold me". Il m'a serrée. Il m'a serrée si fort et tendrement à la fois que je me sentie aimée. Je me suis sentie exceptionnelle, malgré sa vaste collection de rencards passés et à venir.
S'en est suivi un mois et demi de correspondance enflammée, d'emails et textos presque quotidiens. J'aimais son sens de la pondération. Il me donnait très régulièrement de ses nouvelles, mais il n'était pas du tout envahissant. Il ne m'étouffait pas, bien au contraire. Il savait se faire désirer, sans pour autant me snober ou me laisser tomber comme savait si bien le faire F., ou n'importe quel autre homme qui avait suscité mon intérêt ces quatre dernières années, d'ailleurs.
On avait prévu de se revoir le 13 décembre. J'avais prévu de revenir passer quelques jours chez lui. A maintes reprises, j'ai cru qu'il regretterait. Qu'il s'enfuirait. Qu'il changerait subitement d'avis, comme les autres. Que je serais, une fois de plus, une fille de l'ombre, une erreur, un moment d'égarement. Une fille que l'on cache. Comme ce fut le cas à CHAQUE FOIS avec mes dernières conquêtes.
Mais non, il ne s'est pas défilé. Au contraire, il était très enthousiaste, il comptait les jours nous séparant. Et j'ai même appris qu'il parlait de moi à tous ses amis, alors que nous ne nous définissions même pas comme un couple.
"Je ne suis pas comme les autres filles". "J'ai envie d'autre chose". "Je veux le beurre et l'argent du beurre. Je veux la passion et les sentiments, mais pas de relation sérieuse", ne cessais-je de répéter. Quant à lui, il me rappelait régulièrement sa peur de l'engagement, et ses échecs amoureux, sans oublier la relation désastreuse de ses parents qui avait inconsciemment affecté sa vie amoureuse.
Je lui ai tout raconté de ma relation chaotique avec Matthieu, et je lui ai tout avoué de mes sentiments pour F. Il a tout pris. Il a tout accepté sans condition, et moi aussi. Ses sentiments pour sa meilleure amie, ses rendez-vous déjà planifiés avec des filles qu'il a rencontré sur un site. Très honnêtement, je n'en avais rien à foutre. Moi, tout ce que je voulais, c'était ma liberté, et quelques jours de passion une fois tous les un ou deux mois.
Nous nous sommes à la fois tout et rien donné. Mais nous avions su instaurer une certaine harmonie. Et c'était bien comme ça.
Il me guérissait même doucement de F.
Mais ça devait merder quelque part, forcément. Avec moi, ça finit toujours par merder quelque part. C'était trop beau pour être vrai, bien sûr.
Je suis revenue, et ça terminé en larmes. Ca s'est terminé par une rupture, alors que nous pensions même pas avoir une relation qui le permettait.
Passe encore, que son rencard avec la dernière fille en date qui lui avait plu sur son satané site s'était bien passé. Passe encore qu'il soit allé la retrouver quelques heures alors que j'étais chez lui, pour ne pas bousiller ses chances avec elle; c'était les termes du contrat. Libres, chacun de notre côté. En plus, il s'est plainte d'elle au final, car trop collante. Il commençait même un peu à se moquer d'elle, et nous en plaisantions. Je sentais bien qu'au fond, c'était moi qu'il préférait.
Lors de ma dernière nuit chez lui, après une journée passé à supporter sa distance, je lui ai avoué que ça me blessait de voir qu'il semblait se foutre complètement que je m'en aille. Il m'a répondu "En effet, ça ne me rend pas triste, je suis désolé".
Bam dans ta gueule, Laure. Une fois de plus, je m'étais tapé un mec qui était tout excité et enthousiaste au début, mais qui désormais se rétractait. Une fois de plus, j'étais tombée sur un homme qui avait changé d'avis.
C'était la fois de trop. Je ne supporte plus de n'être jamais assez bien.
Il n'a cessé de laisser entendre que je tombais amoureuse de lui. Il n'a cessé de me dire qu'il ne tenait pas à moi autant que je tenais à lui. Je me suis énervée, lui ai crié mille fois que non, bordel de merde, je ne tombais pas amoureuse de lui, que j'en avais assez qu'il tire cette conclusion sans cesse, que ma tendresse ne signifiait rien. J'étais de mauvaise foi, bien sûr. Oui, très probablement, j'étais en train de tomber amoureuse. J'ai nié fermement, j'ai menti effrontément. Car si moi j'avais peur des relations sérieuses, ce n'était rien face à lui. Et je refusais d'être encore celle qui perdait.
Je n'ai pu retenir mes larmes cependant. Mon mascara a noirci abondamment ses draps. Les sanglots secouaient mon corps. Il a posé ses mains chaudes sur mon bras, murmurant, honteux, "Oh Laurie, no... I didn't mean to make you cry... Laurie, you're a wonderful person...", pétrissant mon épaule de baisers.
Je l'ai interdit de me toucher. Penaud, il a retiré aussitôt ses doigts. Et il a pleuré. P L E U R É.
Du coup, j'étais confuse. Etait-ce là une réaction légitime pour un homme qui voulait en finir avec moi?
"Oh arrête ta comédie. C'est pas comme si j'allais te manquer."
"Qui t'a dit que tu n'allais pas me manquer?"